Procès Lafarge : quand le ciment d’une multinationale se mêle au sang de la guerre
Le procès de Lafarge s’ouvre ce mardi 4 novembre 2025 à Paris. Le groupe cimentier est accusé d’avoir financé des groupes terroristes, dont l’État islamique, pour maintenir son usine en Syrie pendant la guerre.
L'usine de Jalabiya au nord d'Alep.
Crédit : Photo Sopa Images/Sipa
Tout commence en 2010, lorsque Lafarge inaugure sa cimenterie de Jalabiya, au nord d’Alep. Un projet colossal de 680 millions d’euros, symbole de la présence française au Moyen-Orient. Mais dès 2011, la Syrie bascule dans la guerre. Les zones de production tombent progressivement aux mains de groupes rebelles, puis de Daech.Pour continuer à produire, Lafarge aurait alors passé des accords avec plusieurs factions locales. Entre 2013 et 2014, selon l’enquête, environ 5 millions d’euros auraient été versés à divers groupes armés pour garantir la circulation des camions, la sécurité des employés et l’accès aux routes.
Des “paiements de sécurité” devenus financement du terrorisme
Ces sommes, officiellement présentées comme des “frais de sécurité”, auraient en réalité alimenté indirectement les caisses de l’État islamique. L’entreprise est donc poursuivie pour financement d’entreprises terroristes et violation d’embargo.Huit anciens cadres, dont le PDG de l’époque, Bruno Lafont, comparaissent pour avoir validé ces transferts d’argent malgré les avertissements internes.Pour la défense, il s’agissait avant tout de protéger les salariés syriens et de préserver un outil industriel. Mais pour la justice, ces “compromis économiques” auraient franchi la ligne rouge du droit international.
Un procès inédit pour les multinationales
Jamais une grande entreprise française n’avait été jugée pour complicité de crimes contre l’humanité — même si ce chef d’accusation fait encore l’objet d’une instruction séparée. Ce procès marque une étape symbolique : il interroge la responsabilité pénale des multinationales opérant en zones de guerre.Les ONG Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), à l’origine des plaintes, espèrent que cette affaire fera jurisprudence et contraindra les grands groupes à revoir leurs pratiques dans les zones à risques.
Des enjeux économiques et moraux
Au-delà du droit, ce procès met en lumière un dilemme global : jusqu’où les entreprises peuvent-elles aller pour “protéger leurs intérêts” ?Pour Lafarge, absorbé depuis par le groupe suisse Holcim, c’est aussi une question d’image. L’entreprise a déjà reconnu des “erreurs de jugement”, mais nie toute volonté de soutenir des groupes terroristes.Le verdict attendu mi-décembre pourrait redéfinir la frontière entre stratégie économique et responsabilité éthique et sceller le sort judiciaire d’un géant industriel français.